
1802-2002
Bicentenaire
de la naissance de
Victor Hugo |
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> Victor Hugo, l'homme politique |
Quelques grands moments d'éloquence parlementaire
Victor HUGO, héros de la lutte contre Napoléon III « Napoléon le Petit » et le
Second Empire, est élu député de Paris le 19 janvier 1871.
(sources : Assemblee Nationale)
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L'invalidation de Garibaldi
LE PRESIDENT : J'aborde les élections partielles de chacun des trois départements de
la colonie. 1er Département d'Alger. M. Gambetta a obtenu 12 423 voix ; le général
Garibaldi 10 606. Le candidat qui vient en troisième ligne, M. Warnier, n'a obtenu que 4
973 voix. L'élection de M. Gambetta n'est ni contestée ni contestable. Il n'en est point
de même de celle du général Garibaldi qui fait l'objet d'une protestation adressée le
19 février à M. le Président de l'Assemblée nationale par le docteur Warnier, et dont
nous devons vous faire connaître les termes. « Je demande à l'Assemblée nationale de
déclarer le général Garibaldi inéligible, attendu qu'il n'est pas citoyen français.
Par cette décision, je suis le second député du département d'Alger sans nouvelle
élection. » Nous vous proposons donc de valider l'élection de M. Gambetta et de laisser
au Gouvernement le soin qui lui incombe de pourvoir au remplacement du général Garibaldi
par les voies ordinaires.
M. LE PRESIDENT : M. le Rapporteur propose l'annulation de l'élection du général
Garibaldi. (Plusieurs voix : Mais non ! Mais non !)
M. RICHIER : Garibaldi n'a pas le droit d'être élu et de faire partie d'une Assemblée
française. (Réclamations sur plusieurs bancs.)
M. VICTOR HUGO : Je demande la parole.
M. LE PRESIDENT : M. Victor Hugo a la parole. (Mouvements divers).
M. VICTOR HUGO : Je ne dirai qu'un mot. La France vient de traverser une épreuve
terrible, d'où elle est sortie sanglante et vaincue. On peut être vaincu et rester
grand. La France le prouve. La France, accablée en présence des nations, a rencontré la
lâcheté de l'Europe. (Mouvements). De toutes ces puissances européennes,
aucune ne s'est levée pour défendre cette France qui, tant de fois, avait pris en main
la cause de l'Europe... (Bravo ! à l'extrême gauche) ; pas un roi, pas un Etat,
personne ! Un seul homme excepté... (Sourires ironiques à droite. Très bien ! à
l'extrême gauche.) Où les puissances, comme on dit, n'intervenaient pas, eh bien un
homme est intervenu, et cet homme est une puissance (exclamations sur plusieurs bancs
à droite.) Cet homme, Messieurs, qu'avait-il ? Son épée.
M. LE VICOMTE DE LORGERIL : Et Bordone. (On rit.) Son épée, et cette épée
avait déjà délivré un peuple... (Exclamations sur les mêmes bancs) et cette
épée pourrait en sauver un autre. (Nouvelles exclamations.) Il l'a pensé ; il
est venu, il a combattu. A droite : Non ! Non !
M. LE VICOMTE DE LORGERIL : Ce sont des réclames qui ont été faites ! Il n'a pas
combattu.
M. VICTOR HUGO : Les interruptions ne m'empêcheront pas d'achever ma pensée. Il a
combattu... (Nouvelles interruptions.) voix nombreuses à droite : Non ! Non
! A gauche Si ! Si !
M. LE VICOMTE DE LORGERIL : Il a fait semblant : Un membre à droite : Il n'a pas vaincu,
en tout cas !
M. VICTOR HUGO : Je ne veux blesser personne dans cette Assemblée, mais je dirai qu'il
est le seul, des généraux qui ont lutté pour la France, le seul qui n'ait pas été
vaincu. (Bruyantes réclamations à droite. Applaudissements à gauche.) Plusieurs
membres à droite : A l'ordre ! à l'ordre !
M. LE BARON DE JOUVENEL : Je prie M. le Président d'inviter l'orateur à retirer une
parole qui est anti française.
M. LE VICOMTE DE LORGERIL : C'est un comparse de mélodrame, que votre héros ! (vives
réclamations à gauche.) Il n'a pas été vaincu parce qu'il ne s'est pas battu.
M. LE PRESIDENT : Monsieur de Lorgeril, veuillez garder le silence. Vous aurez la parole
ensuite. Mais respectez la liberté de l'orateur. (très bien !).
M. LE GENERAL DUCROT : Je demande la parole (Mouvements.)
M. LE PRESIDENT : Général, vous aurez la parole après M. Victor Hugo. Plusieurs
membres se lèvent et interpellent vivement M. Victor Hugo.
M. LE PRESIDENT : (aux interrupteurs) la parole est à M. Victor Hugo seul.
M. RICHIIER : Un français ne peut pas entendre des paroles semblables à celles qui
viennent d'être prononcées. (Agitation générale.)
M. LE VICOMTE DE LORGERIL : L'Assemblée refuse la parole à M. Victor Hugo, parce qu'il
ne parle pas français.(Oh ! oh ! Rumeurs confuses.)
M. LE PRESIDENT : Vous n'avez pas la parole, Monsieur de Lorgeril... Vous l'aurez à votre
tour.
M. LE VICOMTE DE LORGERIL : J'ai voulu dire que l'Assemblée ne veut pas écouter parce
qu'elle n'entend pas ce français-là ! (Bruit.)
UN MEMBRE : C'est une insulte au pays !
LE GENERAL DUCROT : J'insiste pour demander la parole.
M. LE PRESIDENT : Vous aurez la parole si M. Victor Hugo y consent.
M. VICTOR HUGO : Je demande à finir.
Plusieurs membres à M. Victor Hugo : Expliquez-vous ! (Assez ! assez !)
M. LE PRESIDENT : Vous demandez à M. Victor Hugo de s'expliquer : il va le faire.
Veuillez l'écouter et garder le silence. (Non ! non ! A l'ordre !)
M. LE GENERAL DUCROT : On ne peut pas rester là-dessus !
M. LE PRESIDENT : Vous aurez la parole après l'orateur.
M. LE GENERAL DUCROT : Je proteste contre des paroles qui sont un outrage... (A la
tribune ! à la tribune !)
M. VICTOR HUGO : il est impossible... (les cris : A l'ordre ! continuent.)
UN MEMBRE : Retirez vos paroles ! On ne vous les pardonne pas.
Un autre membre à droite se lève et adresse à l'orateur des interpellations qui se
perdent dans le bruit.
M. LE PRESIDENT : Veuillez-vous asseoir !
LE MEME MEMBRE : A l'ordre ! Rappelez l'orateur à l'ordre !
M. LE PRESIDENT : Je vous rappellerai vous-même à l'ordre, si vous continuez à le
troubler. (très bien ! très bien !) Je rappellerai à l'ordre ceux qui
empêcheront le président d'exercer sa fonction. Je suis le juge du rappel à l'ordre. Sur
plusieurs bancs à droite : Nous le demandons, le rappel à l'ordre !
M. LE PRESIDENT : Il ne suffit pas que vous le demandiez (très bien ! interpellations
diverses et confuses.)
M. LE GENERAL DE CHABAUD-LATOUR : Paris n'a pas été vaincu, il a été affamé. (C'est
vrai ! c'est vrai ! Assentiment général.)
M. LE PRESIDENT : Je donne la parole à M. Victor Hugo pour s'expliquer, et ceux qui
l'interrompront sera rappelés à l'ordre. (Très bien !)
M. VICTOR HUGO : Je vais vous satisfaire, Messieurs, et aller plus loin que vous. Il y a
trois semaines vous avez refusé d'entendre Garibaldi. Un membre : Il avait donné sa
démission !
M. VICTOR HUGO : Aujourd'hui vous refusez de m'entendre. Cela me suffit. Je donne ma
démission. (Longues rumeurs. Non ! non ! Applaudissements à gauche.)
UN MEMBRE : L'Assemblée n'accepte pas votre démission !
M. VICTOR HUGO : Je l'ai donnée et je la maintiens. (L'honorable membre qui se
trouve, en descendant de la tribune, au pied du bureau sténographique situé à l'entrée
du couloir à gauche, saisit la plume de l'un des sténographes de l'Assemblée et écrit,
debout, sur le rebord extérieur du bureau, sa lettre de démission au président.)
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La Liberté de la presse
(Séance du lundi 11 septembre 1848)
Victor Hugo prend part à la discussion d'un projet de décret sur l'état de siège
ayant pour objet de transmettre au pouvoir judiciaire le droit de suspendre les journaux,
qui était du ressort du pouvoir exécutif.
Sans entrer dans la discussion de ce projet de décret qui tente, inefficacement selon
lui, de limiter les dérives autoritaires du pouvoir, il s'élève violemment contre la
suspension des journaux.
Le citoyen Victor Hugo. Eh bien, messieurs, permettez-moi de le dire, il est bon
de poser les principes ; car les principes posés dessinent les situations. Les
véritables amis de l'ordre ont toujours été les plus sérieux amis de la liberté.
(Très bien !). Combattre l'anarchie sous toutes ses formes (Très bien !). Les bons
citoyens résistent également à ceux qui voudraient imposer leur volonté par les coups
de fusils, et à ceux qui voudraient imposer leur volonté par les coups d'Etat.
(Mouvement). Eh bien, ce mot coups d'Etat, je les prononce à dessein, c'est le véritable
mot de la situation.
Suspendre les journaux, les suspendre par l'autorité directe, arbitraire, violente, du
pouvoir exécutif, cela s'appelait coups d'Etat sous la monarchie, cela ne peut pas avoir
changé de nom sous la République. (Sensation).
Ceux qui défendent, ceux qui soutiennent cette opinion, sont donc les amis de l'ordre en
même temps que les amis de la liberté. La suspension des journaux crée un état de
choses inqualifiable auquel il importe de mettre un terme, et quant à moi, je préfère
à cette situation tout, même le décret qu'on vous propose. (Nouveau mouvement).
Je ne rentrerai pas dans la discussion de ce décret ; on vous en a savamment montré tous
les vices. Je déplore profondément, je l'avoue, que le pouvoir exécutif ne se soit pas
cru suffisamment armé par les lois sévères que nous lui avions données. Cette
législation, il la croyait efficace lorsqu'il nous l'a demandée ; vous la croyiez
efficace quand vous la lui avez accordée. Je regrette qu'il ait jugé à propos de la
mettre pour ainsi dire au rebut avant de l'avoir mise à l'essai. (A gauche. Très bien
!).
Je regrette que, dans cette circonstance, l'honorable général Cavaignac ne vienne pas à
cette tribune, avec la loyauté que je m'empresse de lui reconnaître, se dessaisir du
surcroît de pouvoir que le décret tendrait à lui attribuer. Je ne pense pas, quant à
moi, que le droit de suspension des journaux, même retiré au pouvoir exécutif et donné
aux tribunaux, je ne crois pas, dis-je, que ce soit une bonne chose.
Le droit de suspension des journaux ! Mais, messieurs réfléchissez-y, ce droit participe
de la censure par l'intimidation, et de la confiscation par l'atteinte à la propriété.
(C'est vrai !). La censure et la confiscation sont deux abus monstrueux que votre droit
public a rejetés ! et je ne doute pas que le droit de suspension des journaux qui, je le
répète, se compose de ces deux éléments abolis et détestables, confiscation et
censure, ne soit jugé et prochainement condamné par la conscience publique. Nous
l'admettons (ceux du moins qui l'admettent) temporairement, provisoirement. Provisoirement
! messieurs, je me défie du provisoire ! (Mouvement). Nous avons le droit de le dire
depuis Février, beaucoup de mal durable est souvent fait par les choses provisoires.
(Nouveau mouvement). Quant à moi, je verrais avec douleur ce droit fatal entrer dans nos
lois ; je m'inclinerais devant la nécessité, mais j'espère que s'il y entrait
aujourd'hui, ce serait pour en sortir demain ; j'espère que les circonstances mauvaises
qui l'ont apporté l'emporteront. (Sensation).
Je ne puis m'empêcher de vous rappeler à cette occasion un grand souvenir. (Ecoutez !
écoutez !). Lorsque le droit de suspension des journaux voulut s'introduire dans notre
législation sous la restauration, M. De Chateaubriand le stigmatisa au passage par des
paroles mémorables. E bien, les écrivains d'aujourd'hui ne manqueront pas, à l'exemple
que leur a donné le grand écrivain d'alors. (Sensation). Si nous ne pouvons empêcher de
reparaître ce droit odieux de suspension, nous le laisserons entrer, mais en le
flétrissant. (A gauche. Très bien !).
Permettez-moi, messieurs, en terminant ce peu de paroles, de vous dire, de déposer dans
vos consciences une pensée qui, je le déclare, devrait, selon moi, dominer cette
discussion : c'est que le principe de la liberté de la presse n'est pas moins essentiel,
n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. Ce sont les deux côtés du
même fait. (Oui ! Oui !). Ces deux principes s'appellent et se complètent
réciproquement. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la
pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l'une c'est attenter à
l'autre. (Vive approbation à gauche).
Eh bien, toutes les fois que ce grand principe sera menacé, il ne manquera pas, sur tous
ces bancs, d'orateurs de tous les partis pour se lever et pour protester comme je le fais
aujourd'hui. La liberté de la presse, c'est la raison de tous cherchant à guider le
pouvoir dans les voies de la justice et de la vérité. (Sensations diverses). Favorisez,
messieurs, favorisez cette grande liberté, ne lui faites pas obstacle ; songez que le
jour où, après trente années de développement intellectuel et d'initiative par la
pensée, on verrait ce principe sacré, ce principe lumineux, la liberté de la presse,
s'amoindrir au milieu de nous, ce serait en France, ce serait en Europe, ce serait dans la
civilisation tout entière l'effet d'un flambeau qui s'éteint ! (Sensation). Messieurs,
vous avez le plus beau de tous les titres pour être les amis de la liberté de la presse,
c'est que vous êtes les élus du suffrage universel !(Très bien ! très bien !).
Je voterai, tout en rendant justice aux excellentes intentions du comité de législation,
je voterai pour tous les amendements, pour toutes les dispositions qui tendraient à
modérer le décret.
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